2.4.09

Loi Hadopi - Quel pirate êtes vous ?

Le capitaine corsaire (ou l’ami qui vous veut du bien)

Au travail, Gérard est un type sur lequel on peut compter. Avant, il faisait passer des catalogues de Noël où tout le service commandait du foie gras ou du Crémant d’Alsace. Depuis 1998, Gérard est devenu un pro de la piraterie sur Internet. Il n’a aucune intention maléfique mais fait tourner en permanence 5 PC récupérés à droite à gauche. Il télécharge en moyenne 31 films par semaine, 127 albums (il aime Metallica, Julien Clerc et les compilations de rock des années 70), en regarde 3 ou 4, parce qu’il faut avouer qu’il y a de ces merdes, mais les grave tous sans exception. Gérard n’a jamais vendu quoi que ce soit et ne se considère pas comme un criminel. Sa plus grande joie, c’est de vous croiser le matin au café et de vous entendre parler de Wall.E, le film que vos enfants rêvent de voir et que vous avez raté lors de sa sortie en salles. "Ca te dirait que je te le grave ?" Ah oui, ce serait cool. Le lendemain, il vous amène le DVD à la première heure. "Tiens je t’ai mis aussi le Royaume Interdit avec Jackie Chan et Jet Li. Et l’intégrale de Johnny Hallyday en 72 CD. Tu sais que ça m’a pris une semaine à télécharger cette saloperie. Franchement ça vaut le coup. T’aimes bien Johnny Cash ?"


Le boucanier noir (ou le petit entrepreneur)

Dans la galerie des pirates, c’est le plus nuisible. Le boucanier noir dispose d’une batterie de PC au moins aussi impressionnante que le capitaine corsaire. Il a, en plus, un réseau local qui dirige automatiquement le tout vers une minicentrale logistique. Il commande ses CD et DVD vierges par lot de 500 sur un site taïwanais. Sa femme et sa fille l’aident le samedi matin à emballer les lots qu’il a vendus sur ebay. Parmi ses meilleures ventes, les intégrales de série TV américaines (24 heures, Urgences, Dr House) continuent de faire un malheur. Sa "petite affaire", comme il l’appelle, lui rapporte, les bons mois, jusqu’à 400 euros. Il n’envisage pas d’en faire un métier mais ne pourrait plus se passer de ce revenu d’appoint. Lorsque la dernière loi sur le téléchargement illégal a été votée, il a mis la pédale douce pendant une bonne dizaine de jours avant de rechuter : "Impossible de mettre la main sur le deuxième Mesrine, putain, et j’en ai déjà vendu vingt sept". C’est la plaie du business : la faiblesse des équipes de piratage franchouilles. Depuis qu’il s’est engagé dans le piratage, il n’a plus une minute à lui. Plus de ciné, plus de télé, plus de concerts. La culture, c’est fini.


L'amateur butineur (ou le romantique)

Il a adapté sa consommation de disques et de films au nouveau marché. Il suit la presse musicale et cinéma de près et récupère les albums de ses groupes préférés en leak sur le net avant leur sortie. Il achète moins qu’avant mais a réussi ainsi à faire le tri dans sa discothèque. Ca fait un bail qu’il n’a pas acheté un mauvais disque. Fini les erreurs de casting, les petits chouchous de la presse spécialisée, les hypes qui ne passent pas la semaine. Il télécharge un peu, beaucoup parfois, histoire de se tenir au courant et de découvrir les groupes dont il a entendu parler sur le net. Grâce au piratage, il a découvert et redécouvert des groupes de son adolescence comme New Order ou Can mais s’est aussi mis au jazz et à la techno. Le weekend dernier, lui et sa copine se sont matés les 7 premiers épisodes de la saison 5 de Desperate Housewives. Ils n’auraient jamais fait ça avant mais les mecs de la télé l’ont provoqué : ils ont 2 saisons de retard et programment Heroes à 23H20. La peur du gendarme ? Ce n’est pas trop son truc. Il a le piratage modeste et sait que statistiquement, il est très peu probable que cela tombe sur lui.


Le collectionneur d’épaves (ou l’obsédé)

Il a connu l’époque où, sur les marchés, on vendait des disques pirates de ses groupes préférés à 245 francs le double album. Quand Internet est arrivé, sa vie a basculé. En douze mois, il a mis la main sur 416 concerts des Rolling Stones. Il lui en reste à peu près autant à récupérer mais il a décidé de prendre le temps et ne s’en fait plus qu’un par semaine. Il n’avouera jamais que la profusion a quelque peu tué le plaisir Il ne lui viendrait pas à l’idée de télécharger autre chose que des albums des Rolling Stones. Son neveu est un fan des Smiths : il a réussi récemment à compléter la tournée 1985 et a acheté un concert ultrarare des Nosebleeds à un Brésilien. "A ce degré de spécialisation ou de passion, le piratage n’est pas un délit, c’est un art. De toute façon, je ne vois pas où est le mal ? La plupart des trucs que je récupère ne sont jamais sortis dans le commerce. Et de toute façon, j’achète tout ce que mon groupe favori sort. Alors qu’est-ce qu’on me reproche au juste ?" Pour les collectionneurs, le piratage est l’Eden dont on n’osait même pas rêver il y a dix ans.


Le pirate d’eau douce dit le honteux

Il a commencé à pirater par hasard. C’était un mardi après la classe. Il a entendu le dernier titre de Laurent Voulzy à la radio. Le marchand de disques lui a dit qu’il ne sortirait que dans 4 semaines. Quand il est rentré chez lui, il est tombé sur un site de partage. Après quatre ou cinq écoutes, il s’est essayé à rapatrier le titre sur son ordinateur. Impossible de ne pas prendre l’album entier. Cela n’a pris que 32 minutes la première fois. Quelques minutes après, il a eu un remords et a détruit les fichiers pirates de son disque dur et vidé la corbeille, avant de les récupérer deux jours après. Bien sûr, lorsque l’album est sorti, il l’a acheté tout de suite. Il s’est rendu compte qu’il le connaissait déjà par cœur et n’avait pas le même plaisir à le découvrir. Peu à peu, il est parvenu à ne pas se sentir coupable et à oublier qu’il faisait un tort immense aux artistes. "Je ne suis pas un gros poisson. Je ne vois pas pourquoi ils s’en prendraient à moi." Quand le téléphone sonne et qu’il est dans son bureau, il sursaute comme si on défonçait la porte.


Le Paranopirate ou Go Fast

D’entre tous les pirates, c’est celui qui est le plus conscient de faire le Mal. Pirater vous expose à des sanctions exemplaires. Et pourquoi on le fait quand même ? On nous observe. La messagerie n’est pas un moyen sûr de communication. Le gouvernement français s’est équipé d’un supercalculateur dans la Somme qui brasse les millions d’adresses IP et est capable de savoir où habite l’ensemble des types qui téléchargent de la musique illégalement. Les maisons de disques rémunèrent des brigades du net qui chattent avec vous et essaient de connaître vos goûts et vos habitudes. "Du coup, vous faites comme vous voulez, mais moi, je ne m’y risque pas sans avoir pris mes précautions". Avant de parvenir sur son disque dur, les signaux numériques passent par l’Ukraine, la Belgique et rebondissent sur un serveur cache dans le Périgord. Il a pris un second abonnement internet au nom de son beau-père, qui a 98 ans, pour brouiller les pistes. Après chaque téléchargement, il entre dans Windows pour effacer les traces et planque les disques gravés dans une niche taillée sous l’escalier.


Le lutineur (ou le teen boucanier)

Il a 13, 14 ans. Acheter un disque ne lui est jamais venu à l’esprit mais il a quelques CD que son oncle lui a offerts à Noël et dont il n’est pas fier. On le présente comme un pirate mais il incarne l’avenir de la consommation de musique sur le net. Ce qu’il aime, c’est les singles, les titres qui pètent et qu’on peut ensuite customiser en sonneries de portable. Il lui en est déjà arrivé quelques unes par SMS. La musique, il adore ça mais en vrac : il aime le hip-hop, le metal et tout ce qui déchire. Il ne crache pas sur le rap américain et écoute aussi des musiques de pub. Il a eu sa période Tokyo Hotel mais a les boules quand on lui en parle désormais. Dans son monde, la notion de groupe ou d’œuvre n’a pas de consistance. D’ailleurs, il n’a pas un fichier gravé avant 2006. "La musique, il dit, c’est comme les yaourts. Tu peux l’écouter quelques jours après la date de sortie, mais après, tu risques de te choper la diarrhée, alors je prends, je jette, tu vois le style ?". Dans un an ou deux, il redécouvrira la collection de CD de son frère ou de son père et virera sa cuti. Il trouve ça con qu’on fasse reposer tout le système économique sur sa pomme. "S’il fallait payer, j’écouterais plutôt mon cœur battre, tu vois, et je ne me sens pas de continuer ainsi toute ma vie. Ca prend trop de temps de télécharger. Je préfère me greffer sur une webradio, à la rigueur, et sentir le vent pousser".


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